27 mars 2012

DJ Cam, pionnier libre du hip-hop instrumental français

DJ Cam vient de publier l'album Seven (Inflamable Records), continue de tourner à travers le monde, creusant sa veine musicale en toute indépendance...

Converti au rap à partir de 1986, le Français a développé son propre style à partir de son amour du jazz, du hip-hop et des musiques de film. Après un premier album en 1994, il sort plusieurs disques et compilations mixées au cours des années 1990 durant lesquelles il est emporté par le tourbillon french touch même s'il ne joue pas de la house filtrée. Entre Soulshine en 2002 et Seven en octobre 2011, il s'est écoulé près de dix ans, mais DJ Cam n'était pas en vacances.

Qu'as tu fait depuis 2002 ?

J'ai produit des groupes, notamment trois albums de Fillet of Soul et une chanteuse qui s'appelle Inlove. Je produis des artistes au coup de coeur, je suis assez sélectif et toujours à la recherche de nouveautés. Mais j'ai de moins en moins de temps pour m'occuper de mon label Inflamable Records. J'ai fait des compilations mixées, un album de rap sorti sous un autre nom aux Etats-Unis et pas mal de remixs. Je ne peux pas m'arrêter de travailler, je pourrais sortir quatre albums par an, mais ce n'est pas possible, les gens ne pourraient pas suivre et ils ne pourraient pas être promus correctement.
Je fais énormément de sound design pour des grosses marques et je continue à jouer un peu partout dans le monde, mais pas plus de quatre dates par mois. Je sélectionne les bons clubs avec les bons promoteurs, là où je sais que je serai bien reçu.

Tu as fait pas mal de compilations dans ta carrière, comment envisages-tu ce type de disque ?

J'adore faire ça, j'envisage ça très simplement, c'est viscéral. Je me demande ce que j'aime sur le moment, ce que je veux faire découvrir. Puis je vois ce qui va ensemble et demande les autorisations. Pour toutes les compilations que j'ai faites, j'ai toujours pu choisir les titres que je voulais, sauf pour les marques - j'en ai fait pas mal - pour lesquelles tu as un cahier des charges.
C'est dommage qu'il n'y ait pas plus de compilations car c'est bien d'avoir des gens qui peuvent t'aiguiller au vu du nombre énorme de sorties. Sur iTunes tu as une visibilité de 20 nouveautés, donc tu as 90 % des sorties qui passent à la trappe. Deezer ou Spotify devraient demander à des DJ de faire des playlists.

© DJ Cam

Comment ton son a évolué au fil des années ?

J'ai un peu toujours le même style, mais j'essaie de me renouveler, d'amener des choses nouvelles, d'être à l'avant garde, intemporel, c'est-à-dire pas trop teinté par une époque pour pas que ça se périme. J'essaie de rester dans la même veine, sauf mon album de 2002 pour lequel j'avais pris le parti de le faire entièrement acoustique.
Pour les morceaux de rap, quand je fais un titre et que j'aime bien un rappeur, je lui envoie. C'est très impulsif, c'est ce qui motive ma carrière. Je n'ai toutefois jamais eu le temps de faire un album avec un rappeur alors que j'aie tout le temps des propositions.

Comment as-tu composé l'album Seven ?

Pour le précédent, j'avais tout composé chez moi puis fait rejouer par des musiciens. Je suis revenu à une production classique pour le nouveau, l'état d'esprit de mes débuts : en solo à la maison. Il y a seulement un pote avec qui je travaille depuis des années qui m'a aidé pour les arrangements de cordes et un peu de piano.
L'album est moitié instrumental, moitié chanté. Avec les deux derniers albums, je suis plus porté sur le chant qu'avant. Il y a notamment sur le dernier un petit côté pop-folk qui n'était pas vraiment voulu mais dont je suis content. Parmi les influences, j'ai découvert très récemment Radiohead et j'ai pris une grosse claque... je suis maintenant un fan incontesté.



Qu'est-il prévu sur scène pour ce nouvel album ?


Je vais tourner avec un nouveau live, à trois sur scène, que je présenterai le 3 mai au Café de la danse à Paris, puis je tournerai en Europe. Cela retracera 15 ans de carrière. Un film réalisé à partir des photos en couleur assez contemplatives que je prends depuis mes débuts sera diffusé en synchro avec la musique. Ce sera tripant et mystique. Comme le nouvel album marche bien, je vais aller un peu partout en Europe, en Russie, en Asie, en Malaisie, à Bali, aux Etats-Unis, etc.
Quand tu as commencé en 1994, pour continuer à tourner en 2012, il faut se renouveler, amener des choses nouvelles et faire de la musique de qualité. Le patron du club doit être sûr de le remplir, même s'il adore tes disques. Le souci de rentabilité est vraiment rentré dans le milieu de la musique, c'était pas comme ça avant. Les majors par exemple ne signent plus d'artiste en développement, ne prennent plus de risque. Pourtant, il n'y a jamais eu autant de bonne musique.

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Dix titres cohérents, avec une alternance de morceaux chantés et instrumentaux, composent ce nouvel album. Si le côté soul ressort plus que par le passé, c'est le côté jazz qui s'efface, notamment par rapport à Soulshine où les musiciens évoluaient librement. Les extraits instrumentaux s'inscrivent plus dans la continuité du style DJ Cam, avec ce goût pour le beat downtempo et hypnotique.

Bonus :

- Des extraits du dernier album de DJ Cam, Seven, et quelques extraits de ses précédents disques sont en écoute dans la radio du blog.

- Le clip de Swim (avec Chris James), extrait du dernier album et dans lequel l'influence de Radiohead est assez évidente :


- Une partie de l'interview de DJ Cam a été diffusée (avec quelques titres à lui ou écoutés par lui) dans l'émission Amplitudes du 24 mars 2012 (écouter le podcast).

22 mars 2012

Wilfrid de Baise, discret et omniprésent président du DMC France

Inévitable dans les travées du Mixmove, le pourtant discret président du DMC France se voit comme un "éleveur de champion"...

A la tête de l'organisation de la compétition phare de scratch en France, Wilfrid de Baise ne peut pas faire 5 mètres dans le salon du DJing (11-13 mars 2012 à Paris porte de Versailles) sans saluer des gens ou être interpelé. Président depuis 1989, il a vu défiler des champions qu'il a su amener jusqu'à la victoire mondiale. Sa longévité lui permet aussi d'avoir un avis plus qu'éclairé sur l'évolution de la discipline, dont il parle en toute modestie.

Comment a évolué le DJing en France depuis ton arrivée à la tête du DMC France ?

Il y a eu une montée jusqu'en 1998, année à laquelle nous avons atteint l'apogée avec les championnats du monde organisés au Palais des sports : 8 000 personnes, 4 000 dehors, 15 chaînes de télévision, c'était la folie. Nous sommes restés sur cette vague pendant trois ou quatre ans, tout le monde alors voulait devenir DJ scratcheur.
Le déclin des ventes de platine s'est alors amorcé avec des baisses d'environ 10 % par an avant de se stabiliser à nouveau. Nous sommes aussi passés à d'autres choses que du hip-hop, il y a beaucoup moins de DJ qui jouent du rap maintenant, même si cela reste une discipline hip-hop.

Et en terme de technique ?

L'autre tournant a été la victoire en individuel de Netik au championnat du monde en 2006. Il gagne avec une routine super technique, produite par Le Jad, un producteur de show. C'est la première fois que plusieurs personnes travaillent à la préparation d'un championnat. La technique est alors revenue au-dessus avec beaucoup moins de musicalité. La communauté qui s'intéresse au turntablism s'est réduite car la musique est désormais moins présente.

Quelle différence entre la coupe de France, récemment gagnée par DJ Topic, par rapport au championnat qui est plus connu ?

A la fin des années 1980, la Coupe de Paris était co-organisée par Dee Nasty, je lui ai demandé si on pouvait la reprendre et c'est devenu la coupe de France avec le DMC. Ce principe de battle qui marchait très bien en France a conduit à la création de la battle for world supremacy au DMC monde en 2000.
Avant, il y avait trois catégories : scratch, beat juggling et battle. C'était plus technique que maintenant. Depuis deux ans, faute de participants, le scratch a disparu et nous n'avons gardé que la battle, ce qui est beaucoup plus intéressant.
Il y a eu aussi des éditions ouvertes aux équipes, ce qui permettait à Fly de repartir avec trois trophées sur quatre... Son show lors de sa victoire au championnat du monde en 2008 a été élu récemment meilleur show de l'histoire du DMC (vidéo ci-dessous), alors qu'il y a plus d'Américains qui votent que de Français. Je pense que cette routine est la meilleure de l'histoire du DMC, à la fois accessible et technique.



Comment a évolué la participation aux compétitions en France au fil des années ?

Il y avait avant plus de participations à la coupe, dont certains qui participaient juste pour participer. C'était plus sympa. Selon les années, le nombre de participants par catégorie changeait beaucoup, une année il y avait 40 prétendants en beat-juggling, la suivante 40 en scratch. Maintenant, ils participent pour gagner, sinon ils ne viennent pas. Certains s'entraînent pendant six mois, voit la vidéo d'un concurrent sur Internet et laisse tomber. C'est comme ça depuis que la France a des champions du monde.
Sur 30 on en prenait 16 par le passé, mais c'était interminable. Et certains étaient bons sur vidéo, mais rataient tout sur scène. Maintenant on en sélectionne que 4 et on est sûr d'avoir de la qualité.

Et pour le championnat ?

C'est encore pire en terme de participation car ils peuvent n'être que dix. On élimine quand même ceux qui envoient des vidéos qui n'ont rien à voir avec la compétition pour qu'ils ne se ridiculisent pas. L'année dernière [2011], c'était toutefois le plus ouvert depuis longtemps.

Qu'est-ce que les évolutions technologiques ont changé à la compétition ?

Cela ne change pas grand chose, il y a toujours des platines, des cellules et une table de mixage. L'introduction de logiciels type Serato date d'il y a deux ou trois ans par équipe et en battle et de l'an passé en individuel. Cela pourrait demander d'être plus vigilant pour éviter les tricheurs, mais vu la qualité des jurés, cela ne pose pas de problème.
La différence, c'est que les DJ ne se cassent plus le dos à porter les disques. De plus, cela coûte moins cher que d'avoir à presser des disques… c'est donc assez positif. Il y aura toujours des puristes qui diront que c'était mieux avec le vinyles, mais il n'y en a plus beaucoup...

12 mars 2012

Coupe de France DMC-Numark, DJ Topic l'emporte

Dans une ambiance moyennement chaude, DJ Topic a gagné le 11 mars 2012 la Coupe de France DMC-Numark.

C'est au milieu de la grande foire que constitue le salon du DJing Mixmove à Paris porte de Versailles que se sont retrouvés quatre DJ pour cette compétition. Pour les juger, du gros niveau avec DJ Fly, champion du monde DMC 2008, DJ Nelson, champion du monde  en titre catégorie battle for world supremacy, DJ Hertz des Traumateam, multiple champions de France et vice-champion du monde DMC par équipe, DJ Fong Fong, 3e du DMC online 2011, et DJ Hitch, désormais formateur à la DJ Eanov School.


Un jury assez unanime pour sortir DJ Topic, champion de France IDA 2011, et Adjectif des demi-finales, dont les routines de deux fois 90 secondes sont plus propres que celles de leurs adversaires et leur attitude plus dans le ton.
Le premier place en finale un bon plan sur un morceau de blues, faisant reposer le début de son intervention sur la musicalité avec un rythme plutôt lent. Ces petites touches de musicalité font d'ailleurs peut-être la différence, car en scratch en ou passe-passe le niveau est assez proche de celui d'Adjectif. Ce dernier semblait quant à lui plus percutant en demi-finale, restant assez classique lors de l'ultime étape.
Un beau duel qui sacre assez logiquement Topic à l'unanimité du jury.

Outre la présentation des nouveaux projets de DJ Fly et de M-Rode, cette coupe était l'occasion d'assister à une excellente démo, malgré quelques problèmes techniques, de DJ Nelson dont le sourire, l'énergie et les body tricks sont assez communicatifs. Sa technique s'apprécie notamment dans sa relecture de Killing In The Name de Rage Against The Machine ou pour scratcher avec habileté le flow de Busta Rhymes sur le morceau Break Your Neck (au DMC monde 2011 dans la vidéo ci-dessous).


Bonus :

- DMC France sur Facebook

- Revoir la routine de DJ Topic au championnat du monde IDA 2011 :

1 mars 2012

Crazy B, de l'amour des medleys à Birdy Nam Nam

Crazy B a commencé à mixer dans les années 1980 dans les MJC du 78 avant de devenir le scratcheur et producteur désormais connu avec Birdy Nam Nam.

A quelques pas du studio du groupe dans le 11e arrondissement de Paris, Crazy B revient sur près de 30 ans de carrière ! Amoureux de la black music, que ses frères lui font découvrir, le choc hip-hop intervient en 1983. Ses soirées passées à écouter Dee Nasty sur les radios libres le pousse à s'intéresser aux platines au moment où aucun disque de rap ne se vends en France. En s'inspirant des medleys, très répandus à l'époque, il confectionne aussi ses premiers mixs.

Sept fois champion de France DMC et quatre fois vice-champion du monde, Crazy B participe au Double H DJ Crew de Cut Killer avant de se lancer dans l'aventure Scratch Action Hiro qui mènera à la création des Birdy Nam Nam avec Pone, Need et Little Mike.


Quand débute Birdy Nam Nam ?

Birdy Nam Nam a pris la suite de Scratch Action Hiro en 2002, nous avions décidé de gagner une bonne fois pour toute le DMC et nous l'avons fait. Faster Jay nous a proposé de faire un album de scratch music plutôt que de faire du scratch chez nous toute la journée. Tout le monde est venu chez moi, on s'est enfermé et nous avons fait le premier album en six mois.
C'était assez complexe avec des bouts d'échantillons partout. Les gens ne se rendent pas compte du nombre de détournements effectués sur ce disque, c'est ce qui a fait son originalité, même s'il est d'une autre époque. C'était une révélation, j'ai commencé à visionner que nous faisions un truc particulier à quatre.

Comment à évolué la production depuis ?

Sur le premier album il y a avait déjà des musiciens qui venaient poser, mais nous manipulions les enregistrements comme des samples. Au début il y avait des beats programmés et pas seulement du scratch. Il y a peu de différence de production sur le deuxième album, sauf qu'un producteur [Yuksek] est venu retoucher les morceaux pour avoir un son particulier. Nous voulions muscler notre son pour faire quelque chose qui nous ressemble plus.
Au DMC en 2002, nous faisions déjà une reprise de Rollin' & Scratchin' de Daft Punk, c'était déjà dans notre culture avec toutes nos influences mélangées. Cela reflète totalement ce qu'on est maintenant. Nous avons évolué certainement, mais pas changé. Certains nous disent que nous faisons de l'électro, mais faire de la musique avec la platine, il n'y a pas plus hip-hop que ça.

Et quels ont été les changements techniques ?


Utiliser Serato c'est le bonheur. Faire un album avec que des vinyles est un travail titanesque, avec que des problèmes techniques. L'ingénieur du son nous a remercié aussi. Maintenant nous pouvons composer un morceau et le rejouer le lendemain alors qu'avant il fallait attendre que les vinyles soient pressés.
En concert, nous n'utilisons pas de midi, les sons sont déclenchés avec des pads, c'est le même truc de banger avec l'envie de jouer ensemble. Nous sommes toujours dans le même esprit. C'est toujours ce que l'on a fait, on fait pas moins, pas plus. Il y a seulement moins de freestyle et c'est plus structuré.

Veuillez installer Flash Player pour lire la vidéo

Comment vois-tu l'évolution du DJing en France depuis toutes ces années ?

Ca a pris un coup de vieux. Il y a quelques DJ de bons niveaux en France, c'est une génération intéressante, parfois il y a des mecs super doués, mais ils ne sont pas assez créatifs. Tu ne les vois pas rester longtemps.
Avec les Birdy Nam Nam, nous avons été les premiers à visualiser le truc, à faire de la musique basée sur le scratch. Nous avons fait le chemin et fait accepter qu'un DJ n'est pas qu'un passeur de disque et puisse être dans de gros festivals.
Nous avons aujourd'hui la stature d'un groupe de rock dans notre façon d'être et de fonctionner. C'est cool de pouvoir avoir ce genre de projet qui n'a pas d'ambition radiophonique. On est comparé à Guetta mais c'est différent. Notre démarche n'est pas commerciale, c'est tout l'inverse. Pas de musique immédiate avec des gimmicks faciles. Notre album raconte une histoire, mais certains ne le comprennent pas.

Birdy Nam Nam est actuellement en tournée avec des dates en France et dans d'autres pays d'Europe. Et s'il n'est plus question de scratch, il est toujours question de platines.

Bonus :

- Vidéo de la routine de Crazy B lors de la finale du DMC monde 1998... encore 2e !


- Retrouvez dans la radio du blog quelques morceaux des Birdy Nam Nam et des productions plus anciennes de Crazy B (sur les compilations Hypercut - 2002 - et Le Diamant est éternel -1998 - avec Faster Jay). 

- Un portrait des Birdy Nam Nam écrit par moi-même au moment de la sortie du premier album (novembre 2005).