(Article publié dans Trax en octobre 2004)
Les plus grands DJ’s sont tout d’abord des collectionneurs. Leur but est de dénicher les meilleures pièces et si possible avant les autres. Et ça ne s’improvise pas !
Chapeau d’Indiana Jones sur la tête et fouet à la ceinture, bienvenue chez les aventuriers du vinyle perdu. Les stars du DJing consacre un temps considérable pour réunir des collections qui atteignent plusieurs milliers de références. “Il y a une certaine obligation à chercher de nouveaux disques pour faire évoluer ses sets”, observe DJ Chloé. Pour éviter l’ennui, l’auteur d’I Hate Dancing “écoute en permanence sa collection” afin de ne jamais jouer le même mix. Parfois, Chloé sature et trouve “que tous les morceaux se ressemblent”, alors elle s’oriente vers d’autres styles que l’électronique, “cela permet de ne pas s’enfermer et de s’ouvrir l’esprit”.
Comme ses collègues, elle affectionne de jouer des disques datant de quelques années et notamment les rééditions du label Dance Mania disponibles chez Hardwax à Berlin. “C’est notre rôle de faire découvrir des morceaux. C’est la base, mais ce n’est pas un boulot, c’est un plaisir”, concède Agoria.
Recevoir quelques dizaines de disques toutes les semaines chez soi est la récompense de la célébrité. Les nouveautés sont envoyés par les boîtes de promotions au label voire directement à la maison. Même s’il y a une grande part de ces disques qui ne sont pas retenus, Jori Hulkkonen de F Com avoue dénombrer au moins un tiers de son sac de vinyles venant de cette source. “Avec Internet ou une seule boutique, tu loupes des choses, nuance Agoria, et il est fondamental de se renouveler”.
Le Web, avec des sites comme Bassdistrict.com, permet surtout de faire du repérage. Sur Internet, l’attention portée aux titres est différente car l’auditeur ne subit pas l’influence de la pochette ou du macaron.
“La plus grande chance de trouver des disques, c’est de voyager”, prévient DJ Feadz. En vacances ou avant les soirées, les magasins de maxis deviennent des passages obligés, voire le seul but du déplacement. Phonica à Londres, Optimal à Munich, Extra Records à Lyon, Hokus Pokus ou Katapult à Paris, chacun a ses adresses.
Pour Jori Hulkkonen, “il faut travailler dur et écouter le maximum de morceaux possible dans le temps dont tu disposes”. Le Finlandais est contraint de voyager au vu du peu de bonnes boutiques dans son pays d’origine.
Devant les bacs, les méthodes divergent pour repérer les bonnes galettes. La plupart des DJ’s font confiance aux labels reconnus puis viennent ensuite des éléments plus subjectifs. Feadz constate ainsi qu’un “bon musicien a généralement du goût et choisit donc des titres accrocheurs et des belles pochettes”.
À l’inverse, Tiga conseille de ne pas négliger les “design vraiment pathéthiques” qui peuvent “mener à de l’or”. Il préconise aussi “d’acheter tout ce qui retient l’attention” et de ne pas oublier les faces B. “Les pochettes affreuses” ne sont pas délaissées non plus par DJ Chloé qui estime “qu’il y a une part de hasard” pour découvrir le meilleur. Lorsque DJ Feadz passe à Paris chez Cyber par exemple, entre 20 et 50 vinyles passent entre ses mains et il n’en retient que deux ou trois.
Généralement l’écoute ne dure que quelques secondes “au niveau de l’intro et du drop”, détaille Le Lutin. Celui-ci indique que les vendeurs réservent parfois aux habitués des disques dont ils disposent en quantité réduite. Le Lutin confie que “90 % des artistes et DJ’s Drum’n’Bass sont connectés sur AIM”, le chat sur téléphone portable d’AOL. Il est en contact direct avec les producteurs et peut suivre et obtenir les nouveautés plus facilement. Il ne néglige pas pour autant la recherche assurant “qu’il faut beaucoup de matière pour être créatif”.
Le film Scratch de Doug Pray consacre un chapitre au digging, l’art de trouver les disques, de fouiner dans les bacs. Certains DJ’s y consacrent un temps considérable et vont jusqu’à arracher les pages record des annuaires pour freiner les concurrents. DJ Shadow y est présenté comme le grand maître de la discipline passant des heures dans la cave d’un magasin anonyme s’impregnant respectueusement du travail des autres.
Assis au milieu de cette caverne d’Ali Baba où les piles grimpent quasiment jusqu’au plafond, le Californien indique que le temps passé à chercher “ne rendra pas un mauvais DJ bon, mais rendra un bon DJ meilleur”.
Légende nordique
Lors d’une visite dans sa ville natale de Kemi, en 1999, Jori Hulkkonen pénètre dans une boutique d’occasion où il découvre 700 vinyles comptant des classiques de la house ou des vieux tubes disco. Le DJ saute sur l’occasion payant le lot 115 euros ! Faute de moyen de locomotion, le vendeur lui livre le tout chez lui, à 100 km et au huitième étage, sans faire payer de supplément. L’été dernier, Hulkkonen retourne dans le magasin et demande s’ils vendent des disques. Le vendeur, qui ne l’a pas reconnu, lui répond qu’un “collectionneur fou” les a tous achetés cinq ans plus tôt.
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